«Catalunya, fabrica de España»: la Catalogne, usine de l'Espagne. Ce slogan rythmait la fin du XIXe siècle, qui vit l'industrie textile faire la fortune de la région. Il est aujourd'hui de retour, au coin d'un article de la Vanguardia. Sergi Pamies ajuste ses lunettes et déplie son quotidien qui, chaque jour, publie deux versions, l'une en castillan, l'autre en catalan. Le texte, en fait une lettre de lecteur, raconte ce que les autorités de Madrid s'emploient à masquer: la montée de l'indépendantisme catalan sur fond de crise et de frustrations sociales.
La veille, l'ancien chef du bureau européen d'El Pais à Bruxelles, Andreu Misse, nous avait pourtant prévenu, en prenant l'exemple de son fils. «Huit cents euros par mois de salaire, un loyer de 650 euros partagé avec deux colocataires. Des copains presque tous au chômage. Une image de l'Europe en chute libre. Et le nationalisme en bandoulière.» Vrai? Sergi confirme. Les cheveux grisonnants, un gilet de reporter posé sur une chemise à manche courte, l'écrivain dissèque posément le malaise de sa ville. «Il y a eu, dans les années 90, celles des JO et de Jordi Pujol – l'inamovible patron de la Generalitat (la région) de 1980 à 2003 –, un nationalisme catalan qui voulait changer l'Espagne. Mais c'est fini. Aujourd'hui, se dire indépendantiste est à la mode. Tout le monde, ou presque, pense que sans Madrid, Barcelone viendrait à bout de la crise.»
Un couple d'une cinquantaine d'années s'installe à la table d'à côté. Coïncidence, l'homme tient dans ses mains, fraîchement imprimé, un rapport du German Marshall Fund, un laboratoire d'idées transatlantique. Son titre? «As Spain protests austerity, Catalonia pushes for independence» (Tandis que l'Espagne proteste contre l'austérité, la Catalogne pousse pour l'indépendance). Trop beau pour être vrai. Mais guère surprenant une fois les présentations faites. Lui, tout juste débarqué de Bruxelles, vient d'accepter un poste à l'Union pour la Méditerranée, cette organisation mort-née en 2008, dont l'Europe espère encore faire quelque chose et que Barcelone a logée dans une superbe annexe du Palais de Pedralbes, construit dans les années 1920 par l'un des protecteurs de l'architecte Gaudi. Sa compagne a suivi. Eux aussi ont rapidement délaissé le café Zurich et sa terrasse bondée. L'exil du Velodromo, au pied de l'immeuble cossu de la Calle Casanova où ils résident, sied mieux à la lecture.
Les arguments du German Marshall Fund? Une Catalogne lassée de transférer au gouvernement central entre 8 et 9% de son produit intérieur brut pour combler les trous des finances nationales. Une Catalogne exaspérée par la décision récente de la Cour suprême espagnole d'interdire l'obligation de suivre des cours d'immersion en catalan pour les nouveaux inscrits des écoles primaires. Miguel, l'un des gérants du café Velodromo, acquiesce. Et de nous citer, comme tant d'autres à Barcelone, le sondage de tous les dangers, publié en juin dernier: 51,1% des Catalans, selon le Centre d'Estudis d'Opinio, voteraient en faveur de l'indépendance si un référendum était organisé. Plus 6% en quatre mois. Plus 20% par rapport à 2006, avant la crise. «On ne peut pas accepter les abus répétés de Madrid. Un indépendantisme du portefeuille prend forme. Il est entré dans l'agenda», reconnaît Merce Ibarz, accoudée au massif escalier central du Velodromo.
«L'indépendantisme catalan est une sorte de réseau, poursuit-elle. Une défense. La crise l'a rendu incontournable.» La conséquence, surtout à Barcelone, des frustrations exacerbées à la fois par la déconfiture des banques attribuée aux collusions de l'élite politique espagnole, et par les exploits du Barca, le club de foot de la ville, emblème globalisé de la rivalité avec Madrid.
La Catalogne n'est pourtant pas exempte «d'éléphants blancs», loin s'en faut. Sur le front de mer barcelonais, l'épave du Forum des cultures inauguré en 2004 et guère réutilisé depuis rappelle que la province, contrainte d'appeler l'Etat central au secours en juillet, a elle aussi exagéré côté dépenses publiques et constructions à tout va. Mais au Velodromo, les clients pressés de défendre la réputation de leur ville préfèrent gloser sur les caisses d'épargne régionales. D'un côté, l'historique Caixa, troisième banque du pays, considérée comme l'un des rares établissements financiers encore sains, mécène et sponsor respecté. De l'autre, la Catalunya Caixa sa concurrente, prise au piège de la spéculation immobilière, et selon eux mal gérée car «Madrid s'en est mêlé»…"
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